Les oubliés du dimanche

Valérie PERRIN

// À table, j'ai toujours eu la même place, je suis en face de mémé. Jules sur ma gauche, pépé sur ma droite. C'est comme ça. Et on n'a pas intérêt à changer, sinon pépé gueule. Plus tard, quand j'aurais un chez-moi, je ne mangerai que sur des tables basses pastel, il n'y aura pas de toile cirée et j'aurai jamais la même place. 


// Sur leur photo de mariage, c'est bizarre de les voir jeunes. Et encore plus de voir mémé porter une robe cintrée. Le temps a échangé sa taille de guêpe contre celle d'un labrador.


// Il inscrit ça sur son ordinateur. Il tape avec deux doigts. Je ne savais pas que les gens qui tapent avec deux doigts existaient encore.


// Nous avons tous deux vies, une vie où l'on dit ce que l'on pense et une autre où on la ferme.


// J'ai fait comme dans les films, j'ai commandé un whisky. Le genre d'alcool que je déteste, mais j'avais trop envie de me retrouver dans le film d'un autre.


Retrouvez ce livre chez votre libraire




Les Chutes

Joyce Carol OATES

// Dirk savait qu'Ariah Erskine ne pleurait pas. C'était une femme économe qui ménageait ses larmes.


// Comme à la plupart des femmes belles et riches, on lui avait pardonné ses défauts et ses faiblesses de caractère, et ce n'était qu'après avoir commencé à perdre sa légendaire beauté qu'elle s'était désespérément efforcée, durant un an ou deux, d'être "bonne".


// Elle s'émerveillait d'avoir retenu, dans ses bras-là, un homme aussi remarquable.


// De retour dans la salle de séjour, Mme Burnaby s'assit à côté de son petit-fils, avec la raideur d'un mannequin de cire dont les membres inférieurs n'ont qu'une flexibilité limitée.


// Quelque chose préoccupait son mari, et Ariah trouvait réconfortant de savoir qu'il ne l'y mêlerait pas.


// La veille, elle était d'humeur pleureuse. Pas malheureuse, juste pleureuse. Elle savait par les autres mères du parc (beaucoup plus jeunes qu'Ariah pour la plupart) que tout le monde avait envie de pleurer de temps en temps, lorsqu'on est une femme, c'est permis.


// Ariah aimait les téléphones débranchés. Elle se sentait protégée, en sécurité. Les téléphones qui sonnaient la rendaient nerveuse.


// [...] dans les films, il y a des gros plans et des plans éloignés, des "plans d'ensemble", des fondus au noir, des changements de séquence brutaux et bienvenus. Il y a une musique sous-jacente qui indique les émotions que l'on est censé éprouver. Dans ce qu'on appelle la vie, le cours du temps est continu comme celui du fleuve qui se précipite vers les Chutes, et au-delà. Impossible d'échapper à ce fleuve.


// Il avait le genre de cerveau labyrinthique où les idées errent longtemps avant d'être mises en pratique. 


// Son visage s'était fermé comme un store que l'on baisse.


Retrouvez ce livre chez votre libraire





Le discours

Fabrice CARO

// Isabelle appartenait à cette génération d'étudiantes, qui voulaient partir en Afrique, à cette époque c'était une fatalité qui s'abattait sans prévenir sur une certaine frange de la population féminine, on n'y échappait pas, l'acnés à douze ans, l'Afrique à dix-neuf, elles attrapaient l'Afrique comme on attrape la varicelle. On les voyait, du jour au lendemain, transfigurées, transmutées, déambuler vêtues de sarouels informes, le vêtement le moins sexy qui soit, transformant le campus en immense course en sac.


// Ma mère me trouve toujours fatigué, toujours amaigri, toujours pâle. Non maman, je ne suis pas fatigué, je vieillis, j'ai quarante ans, j'ai perdu mes illusions, je ne ris plus comme à treize ans, j'ai moins envie, c'est comme ça, tu aurais envie de rire toi si tu avais mis un point d'exclamation à bisous ? Tu aurais envie de rire si ton beau-frère venait de te demander de faire un discours pour son mariage ? Non, évidement. N'importe qui aurait l'air fatigué après une telle requête, maman.


// Je lève les yeux de mon portable et tombe sur un petit cadre accroché au mur, à hauteur de mon visage, je n'ai pas le souvenir de l'avoir déjà vu, un petit cadre dans lequel est inscrite une citation à la typographie précieuse, Si tu veux la lune, ne te cache pas durant la nuit. Si tu veux une rose, n'aie pas peur des épines. Si tu veux l'amour, ne cache pas ta vraie personne. La citation est accompagnée d'une photo de dauphin qui bondit au-dessus de l'eau. Quel rapport peut-il y avoir entre une rose et un dauphin ? Que vient faire un dauphin dans une citation sur l'amour, la lune et la nuit ? Qu'est-ce qui traverse l'esprit de quelqu'un qui, tombant sur un tel cadre dans un rayon de grande surface, se dit Oh là là que c'est beau, il faut à tout prix que je mette ça dans mes toilettes ?


// Lui aussi tu l'appelles Mon coeur d'amour ? Non, Sonia, il y a des choses qu'on n'a pas le droit de reproduire, il faut réinventer, il faut renaître, tu n'as pas le droit d'utiliser les mêmes noms affectueux, sinon le précédent est effacé, il est écrasé comme l'est un dossier quand on en enregistre un nouveau en le nommant de la même façon, on ne peut pas faire ça.


// Qu'est-ce qui m'a prit, après une diète silencieuse de trente-huit jours, d'envoyer pas moins de quatre messages dans la journée dont trois en moins de deux heures - et deux totalement absurdes. J'ai l'impression d'être dans la peau de quelqu'un qui, après un régime soutenu, ouvre par simple réflexe une boîte de chocolats et ne peux s'empêcher d'en avaler la moitié. 


Retrouvez ce livre chez votre libraire




Mon chien Stupide

John FANTE

// Notre maison se dressait sur un acre de terrain, à une centaine de mètres de la falaise et de l'océan qui rugissait en contrebas. C'était ce qu'on appelait un "ranch" en forme de Y, bâti à l'intérieur d'un mur en ciment qui entourait complètement la propriété. Cent cinquante grands pins poussaient le long de ce mur et nous donnaient l'impression d'habiter en pleine forêt. L'ensemble ressemblait exactement à ce qu'il n'était pas - le domicile d'un écrivain à succès.


// Il était mon meilleur gosse. Il ne fumait pas de came, ne buvait pas de gnôle, ne couchait pas avec des Noires, il ne voulait pas devenir acteur. Un père pouvait-il en demander d'avantage ? Ce fils avait quelque chose de sain et de rafraîchissant.


// Vingt-cinq ans plus tôt, j'aurais saisi à deux mains cette pile de feuilles jaunes, et l'aurais courageusement déchirée. Là je n'avais plus assez de cran ni, plus prosaïquement, assez de force dans les mains.


Retrouvez ce livre chez votre libraire




La vie secrète des écrivains

Guillaume MUSSO

// Et puis, soyons réalistes : pourquoi s'emmerder à venir dans une librairie quand vous pouvez vous faire livrer un bouquin en trois clics sur votre iPhone !


// Ensuite, les organes de presse se recopiaient entre eux, déformant encore un peu plus les informations d'origine, puis tout ça passait à la grande moulinette des réseaux sociaux pour déboucher sur un gloubi-boulga aussi mensonger que vide de sens, n'ayant plus pour fonction que de générer des clics et des retweets. La grande victoire de la médiocrité.


// Un roman, c'est de l'émotion, pas de l'intellect. Mais pour faire naître des émotions, il faut d'abord les vivre. Il faut que tu ressentes physiquement les émotions de tes personnages. De tous tes personnages : les héros comme les salauds.


// - Qu'est-ce qu'un bon roman ? 

- Vous créez des personnages qui suscitent l'amour et la sympatie de vos lecteurs. Puis vous tuez ces personnages. Et vous blessez votre lecteur. Alors, il se souviendra toujours de votre roman. 

John IRVING


// Dans toutes les vies, même les plus merdeuses, le ciel te donne au moins une fois une vraie chance de faire basculer ton destin. Le kairos, c'est la capacité à savoir saisir cette perche que la vie te tend. Mais le moment est généralement très bref.


Retrouvez ce livre chez votre libraire



À la recherche d'Alice Love

Liane MORIARTY


// "Elisabeth ? Salut, c'est Jane, j'ai un problème." Comme si elle était la seule Jane au monde (on pourrait croire qu'avec un tel prénom, on a l'habitude de préciser son nom de famille), et moi de réfléchir, Jane Jane, une Jane qui a un problème, et tout à coup, je comprends qu'il s'agit de Jane Turner, la Jane d'Alice.


// Elle s'était toujours quelque peut méfiée de ces gens qui se disent "débordés" ou "en plein boom". Où était l'urgence ? Pourquoi ne ralentissaient-ils pas la cadence ? Et franchement, qu'avaient-ils de si important à faire tout le temps ?


// "On avait une liste, dit Alice. Tu te souviens Libby, de notre liste ? On l'avait intitulée "Le Rêve impossible". On avait rempli trois pages de papier ministre avec toutes les choses qu'on voulait faire dans la maison. Il y avait quatre-vingt-treize points.


// Alice se sentait ballotée telle une pauvre petite chaussette au milieu d'un gros paquet de linge dans le tambour d'une machine à laver en plein essorage.


Retrouvez ce livre chez votre libraire



Le Fil des souvenirs

Victoria HISLOP


// Tout comme les vêtements taillés sur mesure, les joyaux servaient d'indicateur social; ainsi, sa femme avait toujours été un modèle parfait, arborant ce qu'il souhaitait exposer aux regards.


// Palvina se trouvait aussi dans le petit salon, époussetant des objets d'art, dont la seule fonction semblait être d'attirer la poussière.


Retrouvez ce livre chez votre libraire



La double vie d'Anna Song

Minh TRAN HUY


// Nous habitions une ancienne ferme réaménagée, avec une dépendance refaite à neuf pour loger d'éventuels invités (qui ne venaient jamais).


// Ils n'avaient pas d'enfants, mais n'en éprouvaient pas de peine car ils étaient tout l'un pour l'autre.


Retrouvez ce livre chez votre libraire




On la trouvait plutôt jolie

Michel BUSSI

// J'aime bien être debout avant les autres, murmura Leyli. En arrivant en France, j'ai fait mes premiers ménages en haut de la tour CMA CGM dans le quartier Euroméditerranée, toutes les nuits. J'adorais. J'avais l'impression de surveiller la ville, de la voir se réveiller, premières fenêtres allumées, premiers piétons, premières voitures, premiers passants, premiers bus, toutes ces vies qui recommençaient et moi qui allais me coucher, à l'envers du monde.

// Le bus la laissa à l'entrée de la zone d'activités. L'Ibis avait été posé juste en face. Posé, c'est vraiment l'impression que ce cube de béton donnait, déposé là plus que construit. Puis on avait goudronné un petit parking à côté.

Retrouvez ce livre chez votre libraire


Au revoir là-haut

Pierre LEMAITRE

// Les filles l'avaient regardé autrefois. Enfin... Albert avait beaucoup regardé Cécile et, au bout d'un moment, à force d'être fixée comme ça, presque tout le temps, bien sûr, elle s'était aperçue qu'il existait et elle l'avait regardé en retour.

// Ajoutez à cela qu'il était beau. Il fallait aimer les beautés sans imagination, bien sûr, mais, tout de même, les femmes le désiraient, les hommes le jalousaient, ce sont des signes qui ne trompent pas.

// L'ennemi, la guerre, l'administration, l'armée, tout ça, c'est un peu pareil, des trucs auxquels personne ne comprend rien et que personne ne sait arrêter.

// Le chauffeur vint une nouvelle fois informer Madame que la voiture de Madame attendait Madame et que, si Madame voulait bien se donner la peine, alors Madeleine fit un petit signe, merci, Ernest, j'arrive [...].

// Selon Edouard, toute la question était de savoir si Albert finirait par accepter dans un délai raisonnable parce que les très bonnes idées sont des denrées périssables.

Retrouvez ce livre chez votre libraire




Certaines n'avaient jamais vu la mer

Julie OTSUKA

// Sur le bateau nous étions dans l'ensemble des jeunes filles accomplies, persuadées que nous ferions de bonnes épouses. Nous savions coudre et cuisiner. Servir le thé, disposer des fleurs et rester assises sans bouger sur nos grands pieds pendant des heures en ne disant absolument rien d'important.

// Parfois un bruit nous réveillait en sursaut, mais ce n'était rien - quelque part dans le monde, sans doute, une pêche était-elle tombée d'un arbre [...].

// Ils s'adressaient rarement à leurs enfants, ni même ne semblaient se rappeler de leurs noms. Dis au troisième garçon de se tenir droit quand il marche.

Retrouvez ce livre chez votre libraire


Article 353 du code pénal

Tanguy VIEL

// Le juge a soupiré un peu fort, du genre de soupir qui dit "je ne devrais pas mais je vais le faire quand même", et il a fait un signe au gendarme derrière moi, comme quoi c'était bon, on pouvait m'enlever les menottes.

// Alors l'autre, le cow-boy comme je l'appelle quelquefois, il a fini par me regarder dans les yeux, sa main plutôt ferme dans la mienne et il a dit : Lazenec. Mais rien de plus sur lui, comme si ce nom à lui seul avait suffi à le faire briller dans le ciel des noms propres.

// [...] j'ai essayé de faire le point comme on peut faire quelquefois dans sa vie, à vouloir reprendre toutes les coordonnées, comme au compas sur une carte maritime mesurer les distances des amers et conclure d'une petite croix faite au crayon de papier "voilà, j'en suis là".

Retrouvez ce livre chez votre libraire


Réparer les vivants

Maylis DE KERANGAL

// [...] on va se bâfer, yes, on va être des kings ! - l'anglais incrusté dans leur français, constamment, pour tout et pour rien, l'anglais comme s'ils vivaient dans une chanson pop ou dans une série américaine, comme s'ils étaient des héros, des étrangers, l'anglais qui allège les mots énormes, "vie" et "amour" devenant life et love, aériens [...].

// Foulées calmes à vitesse constante, Révol gagne son bureau sans dévier de sa trajectoire pour répondre à ce signe que déjà on lui adresse, à ces papiers que déjà on lui présente, à cet interne qui déjà se cale sur son pas et le sollicite; sort sa clé devant une porte banale, entre, et procède aux gestes qui l'installent au travail : accroche de son vêtement sur la patère clouée dans le dos de la porte - un trench-coat mastic -, enfile sa blouse, allume la cafetière, l'ordinateur, tapote machinalement la paperasse qui nappe son bureau, revisite le classement par tas, s'assied, se connecte à Internet, trie les messages dans sa boîte, rédige une ou deux réponses - ni bonjour ni rien, les mots vidés de leurs voyelles et aucune ponctuation - puis se relève, et prend une grande inspiration. Il est en forme, il se sent bien.

Retrouvez ce livre chez votre libraire



Les trois crimes de Noël

Christian JACQ

// La main, vive et précise, courrait sur le papier. Higgins ne se fiait jamais à sa mémoire. Il préférait les détails écrits, les listes, les croquis.

// L'oignon de l'ex-inspecteur-chef marquait six heures du matin.

Retrouvez ce livre chez votre libraire



Le couple d'à côté

Shari LAPENA

// - La prochaine fois, on fait ça chez nous.
Et elle compléta in petto : "Venez donc dans notre maison, où vit notre petite fille, et j'espère qu'elle braillera toute la soirée et vous gâchera le dîner. Je veillerai à vous inviter quand elle fera ses dents."

Retrouvez ce livre chez votre libraire