Réparer les vivants

Maylis DE KERANGAL

// [...] on va se bâfer, yes, on va être des kings ! - l'anglais incrusté dans leur français, constamment, pour tout et pour rien, l'anglais comme s'ils vivaient dans une chanson pop ou dans une série américaine, comme s'ils étaient des héros, des étrangers, l'anglais qui allège les mots énormes, "vie" et "amour" devenant life et love, aériens [...].

// Foulées calmes à vitesse constante, Révol gagne son bureau sans dévier de sa trajectoire pour répondre à ce signe que déjà on lui adresse, à ces papiers que déjà on lui présente, à cet interne qui déjà se cale sur son pas et le sollicite; sort sa clé devant une porte banale, entre, et procède aux gestes qui l'installent au travail : accroche de son vêtement sur la patère clouée dans le dos de la porte - un trench-coat mastic -, enfile sa blouse, allume la cafetière, l'ordinateur, tapote machinalement la paperasse qui nappe son bureau, revisite le classement par tas, s'assied, se connecte à Internet, trie les messages dans sa boîte, rédige une ou deux réponses - ni bonjour ni rien, les mots vidés de leurs voyelles et aucune ponctuation - puis se relève, et prend une grande inspiration. Il est en forme, il se sent bien.

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