Buvard

Julia KERNINON

// Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulais mais je comprenais qu'il me proposait quelque chose d'inédit - quelque chose qui ne se représenterait plus à moi si je le refusais maintenant.


// Chez nous, si un enfant demandait un animal domestique, on lui filait un kiwi - il y avait un père qui avait eu cette idée un jour et ça avait fait marrer tout le monde dans la prairie, alors chaque saison nous étions systématiquement une poignée à nous balader avec notre kiwi dans la poche, terrifiés quand il devenait mou et collant et commençait à sentir la mort, parce qu'on savait comment les parents, pour entretenir la blague, se faisaient un devoir de coller une beigne au premier gamin qui aurait laissé mourir son kiwi. On avait bien tenté de se renseigner après les premiers décès, et on avait dépêché un des petits pour demander à l’institutrice si les kiwis étaient bien des animaux, mais ça n’avait pas aidé du tout puisqu'elle nous avait dit que oui et que c'étaient des oiseaux. Tout ce qu'on avait gagné à poser des questions ça avait été de croire pendant encore longtemps que nos kiwis étaient des genres d'oeufs, et qu'on devait vraiment rater quelque chose puisqu'en dépit des toutes petites caresses de nos doigts sur leur surface velue, les secrets qu'on leur confiait, les jolis noms qu'on leur donnait, ils n'écloraient jamais. Ces foutus kiwis étaient simplement des fruits.


// Je l'écoutais parler et il me touchait - avec des mots - moi qui n'avait jusqu'ici été touchée que par des mains. 


// C'était troublant de penser que j'ignorais totalement son existence juste quelques heures plus tôt, mais que maintenant, je pouvais détecter son sourire, à des kilomètres, voyageant dans des fils électriques sous la Manche [...].


// [...] aucun de nous ne parlait, mais nous étions désormais arrivés à une intimité qui supportait le silence.


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La papeterie Tsubaki

Ito OGAWA

// Le diable se cache dans les missives nocturnes, disait souvent l'Aînée de son vivant. Voilà peut-être pourquoi elle évitait généralement de s'atteler à ses travaux de calligraphie à la tombée de la nuit.


// Elle trouvait parfaitement inadmissible qu'un enfant écrive au porte-mine, et si l'un d'entre eux s'aventurait à en demander un, elle s'emportait et leur faisait la leçon. Et puis, dire un critérium au lieu de porte-mine avait le don de la hérisser, parce que c'était un nom de marque.


// Imagine que pour remercier quelqu'un, tu lui offres des gâteaux. En général, dans ces cas-là, on choisit un assortiment dans une pâtisserie qu'on aime, n'est-ce pas ? Les plus doués, eux, peuvent offrir des biscuits faits maison. Mais est-ce que cela veut dire que quand on achète des gâteaux tout prêts, on n'est pas reconnaissant ?


// Mange amer au printemps, vinaigré l'été, piquant l'automne et gras l'hiver.


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La place du conducteur

Muriel SPARK

// Elle n'est ni spécialement jolie ni spécialement laide. Son nez est court, et plus large qu'il n'apparaîtra sur le portrait établi en partie à l'aide de témoignages et en partie d'après de vraies photos, portrait qui sera bientôt publié dans les quotidiens de quatre langues différentes.


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La fille de la supérette

Sayaka MURATA

// L'employé en charge de la formation arriva enfin et nous distribua nos uniformes. Nous ajustâmes nos tenues conformément à l'affiche de démonstration. Cheveux longs attachés, montres et accessoires remisés au placard, notre groupe jusque-là hétéroclite formait à présent une équipe d'employés standardisés.


// En cet instant, pour la première fois, il me sembla avoir trouvé ma place dans la mécanique du monde. Enfin, je suis née, songeai-je. C'était, à n'en pas douter, le premier jour de ma vie en tant que membre normal de la société.


// L'insatisfaction générale fait naître une curieuse solidarité. Tout le monde se réjouit de mon coup de sang. Ah, j'ai bien joué mon rôle d'"humain", me dis-je en observant les réactions de mes deux camarades.


// Tu ne comprends donc pas ? Les individus en marge de la communauté n'ont aucune intimité. Tout le monde vient nous marcher dessus, sans ménagement. Ceux qui ne contribuent pas, que ce soit par le mariage, en ayant des enfants, en allant chasser ou gagner de l'argent, sont des hérétiques. Voilà pourquoi nous ne pouvons mener notre vie sans être dérangés.


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Wild

 Cheryl STRAYED

// [Essayant de soulever son sac]. Il ne bougeait toujours pas. [...] C'était exactement comme essayer de soulever une Coccinelle Volkswagen. Elle paraît tellement mignonne, comme si elle ne demandait qu'à décoller du sol – alors qu'en réalité c'est impossible.


// [...] j'étais un humain chargé d'un poids écrasant et dépourvu ne serait-ce que d'un bâton sur lequel s'appuyer. Pourquoi avoir négligé cet équipement alors qu'une scie pliante m'avait parue indispensable ?


// Horrifié par la tendance de son époque à passer "bien trop de temps dans les sièges rembourrés des véhicules motorisés ou des cinémas", il fit pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il consacre une bande du territoire préservé à ce chemin [le Pacific Crest Trail].


// La seule chose qui m'intéressait, c'était de manger. J'étais moi aussi devenue une barbare, tenaillée par une faim monumentale et insatiable. J'avais atteint le stade où, quand un personnage de mon roman mangeait, j'étais obligée de sauter la scène, frustrée de ne pas pouvoir l'imiter.


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Aveu de faiblesses

Frédéric VIGUIER

// Je ne me sens bien que dans ma chambre, ou avec ma mère. Mon seul but, quand je pars au lycée, c'est de revenir chez moi. Et mon seul but, quand je suis chez moi, c'est qu'une bombe vienne anéantir le lycée.


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Grand Platinum

Anthony VAN DEN BOSSCHE

// Créer un nouveau motif sur le dos d'une carpe, parvenir à le fixer, en faire une nouvelle lignée était le rêve de tout éleveur, "une promesse de gloire et de prospérité nécessitant une vie et plusieurs générations de poissons".


// Il détestait parler de tout et de rien. "La vie est assez quotidienne comme ça, pourquoi en parler tous les jours ?" était sa phrase favorite pour couper court à une discussion qui l'ennuyait.


// [...] les designers étaient des stars auxquelles personne ne demandait jamais d'autographe.


// Sur le pavé déchaussé, Louise évita une famille américaine, dont les éclats de voix couvraient à peine le cahotement de leurs valises à roulettes [...].


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Entre mes mains le bonheur se faufile

Agnès MARTIN-LUGAND

// Il m'embrassa différemment. D'habitude, j'avais l'impression d'être transparente, j'avais à peine le temps de sentir ses lèvres sur les miennes, c'était le baiser de la routine, en pire. Là, c'était plus profond, plus aimant.


// J'ébauchais un sourire et me retins de pousser plus loin mes confidences, car je sentais que je finirai par révéler à Marthe jusqu'à la couleur de ma petite culotte.


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L'énigme de la chambre 622

Joël DICKER

// Les gens considèrent souvent que l'écriture d'un roman commence par une idée. Alors qu'un roman commence avant tout par une envie : celle d'écrire. Une envie qui vous prend et que rien ne peut empêcher, une envie qui vous détourne de tout. Ce désir perpétuel d'écrire, j'appelle ça la maladie des écrivains. Vous pouvez avoir la meilleure des intrigues de roman, si vous n'avez pas envie de l'écrire, vous n'en ferez rien.


// [...] il retira une bouteille de jus de citron pressé. Il en versa une partie dans un bol en cuivre et y ajouta de l'eau pour obtenir de l'encre sympathique.


// - Alors, je suis jaloux ? 

- Pour être précis, je dirais que vous souffrez d'une invidia maxima, un mal identifié par le docteur Freud dans son célèbre cas Lucien K.

- Qu'est-ce que le cas Lucien K ?

- Lucien K était le fils d'un riche industriel viennois qui avait toujours cherché la reconnaissance de son père. Mais son père l'avait toujours assommé de reproches et lui avait finalement préféré un autre garçon qu'il avait considéré comme un fils et à qui il avait confié les rênes de son empire.


// - Tu pleures ?

- Non, juste une poussière dans l'oeil.

- C'est une réponse de roman, fit-il remarquer. Les poussières n'ont jamais fait pleurer personne.

- Les poussières de souvenirs, si.


// J'ai toujours aimé ta mère, Lev. Je l'aime toujours. La mort empêche les retrouvailles, mais elle ne peut pas interrompre l'amour.


// La vie est un roman dont on sait déjà comment il se termine : à la fin, le héros meurt. Le plus important n'est donc pas comment notre histoire s'achève, mais comment nous en remplissons les pages. Car la vie, comme un roman, doit être une aventure. Et les aventures, ce sont les vacances de la vie.


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Frankenstein

Mary SHELLEY

// Aucun mot, aucune expression ne pourrait traduire ce que j'éprouvais pour elle, ma plus que soeur.


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Boréal

Sonja DELZONGLE

// "En réalité, l'ours blanc n'est pas blanc, lui avait appris son père. Tel que tu le vois, il t'apparaît ainsi. Un peu jaune aussi. Mais son poil n'a pas de pigment, il est pour ainsi dire incolore. C'est la réverbération de la lumière sur la partie interne de son poil, que les yeux reçoivent, qui lui donne cette apparente blancheur."


// "C'est drôle, mais je ne trouve aucune poésie aux étoiles, avait-elle fini par glisser à Luv qu'elle avait mis un certain temps à approcher. Elles brillent, c'est tout. Mais la plupart sont déjà mortes. Ce qu'on en voit n'est qu'un écho lumineux. Comme un diamant qui scintille au doigt d'une morte. Elles sont froides, immobiles et sans vie. Je n'aime pas les étoiles." Sur ces mots, sans laisser à Luv le temps de répliquer ou de donner son avis, elle était rentrée et s'était assise face à la cheminée, le regard vide. 


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