Ça (Tome 1)

Stephen KING

// Sa peur s'était évanouie, aussi rapidement qu'un cauchemar lorsqu'on se réveille et qu'on regarde autour de soi pour s'assurer que rien de cela n'était vrai. Un pied par terre, on en a oublié la moitié; sous la douche, les trois quarts. Et au petit déjeuner, il n'en reste plus rien. Plus rien, jusqu'à la prochaine fois, où, sous l'emprise d'un nouveau cauchemar, toutes les frayeurs remonteront.

// Les gens de bonne compagnie sont une rareté, mais dans un boui-boui comme celui-ci, où le niveau des conversations est en dessous de celui de la mer, ce sont de vrais merles blancs.

// Richie lui-même gardait le silence, perdu dans ses propres pensées - événement aussi fréquent qu'une éclipse de lune.

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La Télévision

Jean-Philippe TOUSSAINT

// J'ai arrêté de regarder la télévision. J'ai arrêté d'un coup, définitivement, plus une émission, pas même le sport. J'ai arrêté il y a un peu plus de six mois, fin Juillet, juste après la fin du Tour de France. J'ai regardé comme tout le monde la retransmission de la dernière étape du Tour de France dans mon appartement de Berlin [...]. Je revois très bien le geste que j'ai accompli alors, un geste très simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s'allonge et qui appuie sur le bouton, l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je n'ai plus jamais regardé la télévision.

// [...] j'étais revenu vers Delon, qui m'attendait à côté de son chariot, et j'avais dit - je ne sais pas si toutes les paroles que j'ai prononcées à Berlin lors de ce séjour doivent être rapportées aussi fidèlement - porte vingt-huit. Tu es sûr ? avait dit Delon. J'avais un petit doute, du coup. Porte vingt-huit, oui (j'étais retourné vérifier).

// Parfois, [quand] je nageais [...], il m'arrivait d'entendre la porte du vestiaire s'ouvrir à côté de moi, et, levant machinalement les yeux sur le nouvel arrivant, comme on relève la tête de son livre dans une bibliothèque pour regarder la jeune femme qui vient d'entrer et la suivre un instant des yeux d'un regard rêveur en en tombant brièvement amoureux (avant de replonger la tête dans son livre et de reprendre sa lecture en soupirant), je reconnaissais avec une ombre de désagrément ce qu'il faut bien appeler un crawleur.

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Tu comprendras quand tu seras plus grande

Virginie GRIMALDI

// Isabelle mérite la deuxième partie de son prénom. Elle a de longs cils noirs plantés sur des yeux verts et un sourire que même les caries ne doivent pas oser attaquer. Manifestement, les fées qui se sont penchées sur son berceau venaient d'avoir une augmentation.

// Je vais mourir. Ma gorge est un immense brasier, je suis en train de me consumer de l'intérieur. Je pense que les petits bonhommes de Il était une fois la vie se sont donné rendez-vous dans mon larynx pour y faire un feu de camp, pendant que d'autres jouent aux fléchettes avec mes bronches.

// Les salles d'attente des urgences ne s'encombrent pas de lectures intéressantes. À quoi bon ? Les gens y sont tellement inquiets qu'ils peuvent lire le règlement en boucle ou compter les carreaux, pourvu que leurs pensées soient concentrées sur autre chose que leurs symptômes.

// Je n'aime rien tant que les jours où je n'ai pas besoin de mettre de réveil. Laisser mon cerveau émerger quand il l'entend, prendre le temps de m'étirer, parfois me rendormir ou rester à ne rien faire.

// Corinne reprend la lettre de sa mère et la caresse. L'encre posée sur le papier a ce pouvoir de relier le passé et le présent, celui qui écrit et celui qui lit.

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Les sept morts d'Evelyn Hardcastle

Stuart TURTON

// Je prierais volontiers, mais je ne me rappelle pas les paroles.

// Une horloge prend son courage à deux mains et produit son tic-tac.

// "Mlle Evelyn est là-dedans", dit la servante. Le ton de sa voix donne une idée à la fois de la pièce et d'Evelyn Hardcastle, qu'elle ne semble porter ni l'une ni l'autre particulièrement dans son coeur.

// La porte est ouverte et un groupe d'hommes est en train de partir en promenade, emportant leurs rires avec eux.

// Un silence étrange m'accueille, le vacarme d'une personne qui tente de ne pas faire de bruit.

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À la recherche du temps perdu sur Internet

Christine BERROU

// [...] Qu'attendre d'une oeuvre littéraire dont aucun réalisateur n'a jamais voulu faire un film ? Les Américains flairent la rentabilité, si Proust et Hollywood ne s'étaient jamais rencontrés ailleurs que dans la phrase que je suis en train d'écrire, alors c'est qu'il y avait une raison.

// On a tort d'employer le verbe "partager" quand on poste un morceau de notre vie sur Internet. Partager, c'est noble : c'est morceler ce que l'on a pour en donner un bout à quelqu'un qui n'en a pas. On partage un gâteau, de l'argent, un lit. Mais on ne peut pas partager un moment. On le vit et on le montre, mais celui qui le voit ne le vivra pas. Les gens qui, sur les réseaux sociaux, nous voient sur une plage antillaise ne peuvent pas nous rejoindre en un claquement de doigts. Et quand bien même ils pourraient, leur ferait-on vraiment de la place, leur filerait-on la moitié de notre assiette ?

// Autant bobo, c'est gratuit, ça ne renvoie à rien, c'est une insulte "fourre-tout" que l'on utilise quand on culpabilise de ne pas trier ses déchets.

// J'ignore pour quelle raison, mais pour moi les salles d'attente ont toujours été propices à un certain recueillement. Est-ce le fait de se trouver dans un endroit que l'on ne connaît pas, un endroit en plus dédié à l'attente, donc, autant le dire, au "rien" ? Sur une table basse sont toujours disposés des magazines mais l'on ne sait même pas si, s'engageant dans un article intéressant, on aura la possibilité de le finir. On est complètement tributaire du moment où l'on viendra nous chercher, peut-être dans cinq minutes, peut-être dans dix, on ne sait pas. On est docile, on attend.

// Parallèlement, je notais qu'il y a dans la vie des périodes "éponge" et des périodes "torrent". Les périodes "éponge" sont des périodes où l'on a besoin de faire rentrer des choses dans sa tête : des textes, des films, la conversation des gens. À l'inverse, les périodes "torrent" sont celles où l'on a besoin de déverser sur le monde notre propre flux de pensée par toute forme de créativité.

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Christmas Pudding

Nancy MITFORD

// Amabelle la considéra d'un air pensif. Il n'y avait rien qu'elle aimât autant que de se mêler des affaires des autres, et elle voyait là une bonne occasion de s'adonner à ce hobby.

// Bobby et Philadelphia firent les commentaires appropriés et Lady Bobbin continua.

// Je voudrais parfois être aveugle, vous savez, pour ne pas voir l'eau que je recrache quand je me lave les dents.

// Philadelphia réprima l'ennui profond qui saisit ceux qui s'apprêtent à entendre les rêves des autres[...].

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Le temps est assassin

Michel BUSSI

// Même les pires souvenirs finissent par s'oublier, si on en empile d'autres par-dessus, beaucoup d'autres.

// Moi c'est Clothilde. Je me présente, parce que c'est la moindre des politesses, même si vous ne me la rendrez pas parce que je ne sais pas qui vous êtes, vous qui me lisez.

// [...] jamais elle n'avait reçu de déclaration enflammée par courrier.  Elle était née quelques années trop tard. Ses soupirants l'avaient draguée par textos, par mails.C'était nouveau et follement excitant alors, les confidences numériques... et il ne lui en restait rien aujourd'hui. Pas une ligne, pas un billet glissé dans un livre.

// Avec rien qu'un livre ouvert sur une serviette, vous passez du statut de petite-conne-toute-seule-qui-n'a-pas-d'amis-et-qui-se-fait-chier à celui de petite-rebelle-peinarde-dans-sa-bulle-et-qui-vous-emmerde.

// [Elle] se contenta de suivre, se sentant inutile, telle une invitée arrivée trop tôt et qu'on laisse en plan pour achever les préparatifs.

// [Il] était comme les autres, au fond. Un homme qui avait laissé filer en chemin ses illusions... Parce que le monde tournait trop vite, une gigantesque machine à essorer les utopies.

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L'île des oubliés

Victoria HISLOP

// À l'âge d'Alexis, sa mère, Sophia, était mariée depuis plusieurs années et avait déjà deux enfants. Quelles circonstances l'avaient donc amenée à acquérir une telle maturité aussi jeune ? Comment avait-elle pu être aussi installée dans la vie alors qu'Alexis se sentait encore enfant ?

// Ayant toujours prêté une oreille attentive aux conversations d'adultes, Dimitri connaissait leur propension au rabâchage, tels des chiens rongeant le même os, sur lequel il n'y avait plus de viande depuis longtemps.

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Le saut de l'ange

Lisa GARDNER

// Nous sommes heureux ainsi, du moins c'est ce qu'on se dit, mais je crois que nous nous mentons. Pas forcément l'un à l'autre, plutôt à nous-mêmes. Ce mensonge-là est le plus facile à faire et le plus difficile à défaire.

// On passe tellement de temps à s'attendre au pire, toi et moi, qu'on risque de rater le meilleur. [...] on se comporte comme si le ciel allait nous tomber sur la tête encore une fois. Ce n'est pas un mode de vie particulièrement génial, tu sais. Il faudrait voir le bon côté des choses et y mettre un peu plus de conviction. Apprendre la confiance.

// "Je suis désolée", répète-t-elle d'une voie monocorde, comme si ces mots étaient usés d'avoir trop servi pendant trente ans.

// D'après toi, quelles sont les meilleures sources de renseignement pour un détective privé ? La mort et les impôts. Les deux seuls jalons incontournables de l'existence.

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Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

Jeanette WINTERSON

// [...] l'adoption vous débarque au milieu d'une histoire qui a commencé sans vous. Imaginez un livre dont il manquerait les premières pages. Imaginez arriver au théâtre après le levé de rideau. La sensation de manque ne vous laisse pas un instant de répit, jamais - elle ne peut pas, ne devrait pas vous lâcher, cette sensation, puisqu'il manque effectivement quelque chose.

// "J'aime bien ces timbales..." a-t-elle dit. Et j'aime bien qu'elle appelle un mug une "timbale". C'est un joli mot désuet - un objet du quotidien sonore, entre tambour et cymbale.

// Durant les quelques semaines qui ont suivi, nous nous sommes séduites en caractères pixelisés - une cour par voie virtuelle.

// [...] je n'accepte pas qu'on me refuse quoi que ce soit. Qu'est-ce qu'un "non" ? Soit vous avez posé la mauvaise question, soit vous vous êtes adressé à la mauvaise personne. Trouvez le moyen d'obtenir un "oui".

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Le mystère Henri Pick

David FOENKINOS

// Écrivain est le seul métier qui permet de rester sous une couette toute la journée en disant "Je travaille".

// Le premier roman est toujours celui d'un bon élève. Seuls les génies sont d'emblée des cancres.

// Depuis combien de temps n'écoutait-il plus la conversation ? Personne n'aurait pu le dire. L'être humain est doté de cette capacité unique de hocher la tête et de donner l'illusion d'écouter pleinement ce qui se dit, tout en pensant à autre chose. C'est pourquoi il ne faut jamais espérer lire la vérité dans le regard de quiconque.

// Progressivement, on l'oublierait ; il deviendrait un nom qu'on a sur le bout de la langue.

// [...] il se sentait plus léger que la veille, comme si un poids l'avait quitté. Sûrement le poids de la rupture avec Brigitte. On peut se raisonner, mais c'est toujours le corps qui décide du temps nécessaire à la cicatrisation affective. Ce matin-là, en ouvrant les yeux, il pouvait respirer à nouveau. La souffrance venait de s'enfuir.

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Les garçons de lété

Rebecca LIGHIERI

// Ma playlist est presque la même que celle de l'an dernier. Je l'ai juste un peu réactualisée et agrémentée de tubes récents. Mais de toute façon, à nos âges, on se trémousse plus volontiers sur du James Brown ou du Niagara que sur Drake ou Rihanna.

// Mylène m'a toujours horripilée avec ses petits bermudas impeccables, ses tops assortis à ses gilets, ses mains étroites, aux ongles impeccablement lisses et vernis, ses brushings, son jogging, son stretching, tous ces mots en "ing" aussi exaspérants qu'elle.

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Inconnu à cette adresse


Kressmann TAYLOR

// Qu'est-ce que la liberté d'expression ? Tout juste une bonne occasion de rester assis sur son derrière en critiquant ceux qui agissent.

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Un clafoutis aux tomates cerises

Véronique DE BURE

// Il y a aussi les recettes de cuisine mais elles sont souvent bien compliquées, il faut toujours tout un tas d'ingrédients ou d'épices introuvables, que parfois je ne connais même pas : du curcuma, de la feta, du boulgour, du quinoa... Des choses à la mode qu'à mon époque on ne mangeait jamais.

// Aujourd'hui, quel que soit leur âge, les enfants sont partout : dans le salon, dans le bureau (il faut dire qu'il y a un poste de télévision), à table... Ils s'ennuient, s'accrochent aux jupes de leurs mères, s'avachissent sur les banquettes et dans les fauteuils Louis XVI... À l'apéritif, il faut leur prévoir des verres et du jus d'orange ou du Coca-Cola. Après on retrouve des miettes partout sur le tapis, leurs verres font de gros ronds poisseux sur la table basse et ils s'essuient les doigts sur les bras des fauteuils. Mais il ne faut rien dire, sinon c'est moi qui me ferai gronder. Et comme je les aime bien, que j'ai quand même envie qu'ils reviennent, je ne dis rien.

// Finalement, les seuls moments où je m'ennuie, ce ne sont pas ceux où je suis seule, ce sont ceux où je suis en compagnie de gens ennuyeux. Alors, le temps, d'ordinaire si pressé, traîne à n'en plus finir.

// Les jeunes n'écrivent plus. Les grands n'ont plus le temps et les petits n'ont jamais appris à le prendre ; ils sont nés à l'époque où l'on n'écrit plus que sur des téléphones et des ordinateurs.

// Avant, on n'avait pas de portable et on se débrouillait très bien sans. Maintenant, il faudrait toujours répondre présent, à tout le monde, tout le temps et partout. Avec ces engins mobiles, on n'est plus libre, on nous suit à la trace, c'est terrible. Je me couche très contrariée. C'est dommage, j'avais passé une tellement bonne journée.

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Petits secrets, grands mensonges

Liane MORIARTY

// "Oh tu es si jeune Jane; tu sauras arranger ce qui ne va pas avec mon téléphone / mon ordinateur / mon appareil photo !" quand en réalité bon nombre d'entre elles [les amies de sa mère] étaient plus calées que Jane dans le domaine.

// Renata. Elle est dans la finance - dans les stock-options ou, je ne sais pas, courtière ? Ça existe, comme métier ? Ou peut-être analyste. Oui, c'est ça, il me semble. Elle analyse des trucs. Chaque fois que je lui demande de m'expliquer ce qu'elle fait, j'oublie d'écouter.

// Perry portait un magnifique costume-cravate, de facture italienne, taillé sur mesure, probablement plus cher que la garde-robe complète de son mari - armoire comprise -, songea Madeline.

// Elle avait beau connaître Bonnie depuis plusieurs années - les deux femmes avaient eu mille occasions de discuter en toute courtoisie - elle n'arrivait ni à la voir comme une vraie personne, ni à l'imaginer en train de faire des choses normales. Bougonner. Crier. S'écrouler de rire. Trop manger. Trop boire. Réclamer du papier toilette à tue-tête. Perdre ses clés de voiture. Rien qu'à l'entendre avec sa voix chantante de professeur de yoga à vous faire dresser les poils - elle ne pouvait pas parler normalement ? - Madeline se disait que Bonnie était soit une caricature, soit une extra-terrestre.

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