Buvard

Julia KERNINON

// Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulais mais je comprenais qu'il me proposait quelque chose d'inédit - quelque chose qui ne se représenterait plus à moi si je le refusais maintenant.


// Chez nous, si un enfant demandait un animal domestique, on lui filait un kiwi - il y avait un père qui avait eu cette idée un jour et ça avait fait marrer tout le monde dans la prairie, alors chaque saison nous étions systématiquement une poignée à nous balader avec notre kiwi dans la poche, terrifiés quand il devenait mou et collant et commençait à sentir la mort, parce qu'on savait comment les parents, pour entretenir la blague, se faisaient un devoir de coller une beigne au premier gamin qui aurait laissé mourir son kiwi. On avait bien tenté de se renseigner après les premiers décès, et on avait dépêché un des petits pour demander à l’institutrice si les kiwis étaient bien des animaux, mais ça n’avait pas aidé du tout puisqu'elle nous avait dit que oui et que c'étaient des oiseaux. Tout ce qu'on avait gagné à poser des questions ça avait été de croire pendant encore longtemps que nos kiwis étaient des genres d'oeufs, et qu'on devait vraiment rater quelque chose puisqu'en dépit des toutes petites caresses de nos doigts sur leur surface velue, les secrets qu'on leur confiait, les jolis noms qu'on leur donnait, ils n'écloraient jamais. Ces foutus kiwis étaient simplement des fruits.


// Je l'écoutais parler et il me touchait - avec des mots - moi qui n'avait jusqu'ici été touchée que par des mains. 


// C'était troublant de penser que j'ignorais totalement son existence juste quelques heures plus tôt, mais que maintenant, je pouvais détecter son sourire, à des kilomètres, voyageant dans des fils électriques sous la Manche [...].


// [...] aucun de nous ne parlait, mais nous étions désormais arrivés à une intimité qui supportait le silence.


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