Le discours

Fabrice CARO

// Isabelle appartenait à cette génération d'étudiantes, qui voulaient partir en Afrique, à cette époque c'était une fatalité qui s'abattait sans prévenir sur une certaine frange de la population féminine, on n'y échappait pas, l'acnés à douze ans, l'Afrique à dix-neuf, elles attrapaient l'Afrique comme on attrape la varicelle. On les voyait, du jour au lendemain, transfigurées, transmutées, déambuler vêtues de sarouels informes, le vêtement le moins sexy qui soit, transformant le campus en immense course en sac.


// Ma mère me trouve toujours fatigué, toujours amaigri, toujours pâle. Non maman, je ne suis pas fatigué, je vieillis, j'ai quarante ans, j'ai perdu mes illusions, je ne ris plus comme à treize ans, j'ai moins envie, c'est comme ça, tu aurais envie de rire toi si tu avais mis un point d'exclamation à bisous ? Tu aurais envie de rire si ton beau-frère venait de te demander de faire un discours pour son mariage ? Non, évidement. N'importe qui aurait l'air fatigué après une telle requête, maman.


// Je lève les yeux de mon portable et tombe sur un petit cadre accroché au mur, à hauteur de mon visage, je n'ai pas le souvenir de l'avoir déjà vu, un petit cadre dans lequel est inscrite une citation à la typographie précieuse, Si tu veux la lune, ne te cache pas durant la nuit. Si tu veux une rose, n'aie pas peur des épines. Si tu veux l'amour, ne cache pas ta vraie personne. La citation est accompagnée d'une photo de dauphin qui bondit au-dessus de l'eau. Quel rapport peut-il y avoir entre une rose et un dauphin ? Que vient faire un dauphin dans une citation sur l'amour, la lune et la nuit ? Qu'est-ce qui traverse l'esprit de quelqu'un qui, tombant sur un tel cadre dans un rayon de grande surface, se dit Oh là là que c'est beau, il faut à tout prix que je mette ça dans mes toilettes ?


// Lui aussi tu l'appelles Mon coeur d'amour ? Non, Sonia, il y a des choses qu'on n'a pas le droit de reproduire, il faut réinventer, il faut renaître, tu n'as pas le droit d'utiliser les mêmes noms affectueux, sinon le précédent est effacé, il est écrasé comme l'est un dossier quand on en enregistre un nouveau en le nommant de la même façon, on ne peut pas faire ça.


// Qu'est-ce qui m'a prit, après une diète silencieuse de trente-huit jours, d'envoyer pas moins de quatre messages dans la journée dont trois en moins de deux heures - et deux totalement absurdes. J'ai l'impression d'être dans la peau de quelqu'un qui, après un régime soutenu, ouvre par simple réflexe une boîte de chocolats et ne peux s'empêcher d'en avaler la moitié. 


Retrouvez ce livre chez votre libraire




Mon chien Stupide

John FANTE

// Notre maison se dressait sur un acre de terrain, à une centaine de mètres de la falaise et de l'océan qui rugissait en contrebas. C'était ce qu'on appelait un "ranch" en forme de Y, bâti à l'intérieur d'un mur en ciment qui entourait complètement la propriété. Cent cinquante grands pins poussaient le long de ce mur et nous donnaient l'impression d'habiter en pleine forêt. L'ensemble ressemblait exactement à ce qu'il n'était pas - le domicile d'un écrivain à succès.


// Il était mon meilleur gosse. Il ne fumait pas de came, ne buvait pas de gnôle, ne couchait pas avec des Noires, il ne voulait pas devenir acteur. Un père pouvait-il en demander d'avantage ? Ce fils avait quelque chose de sain et de rafraîchissant.


// Vingt-cinq ans plus tôt, j'aurais saisi à deux mains cette pile de feuilles jaunes, et l'aurais courageusement déchirée. Là je n'avais plus assez de cran ni, plus prosaïquement, assez de force dans les mains.


Retrouvez ce livre chez votre libraire